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L'anthropologie de la Paella
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Son anthropologie

Anthropologie historique d’un plat caméléon :

la Paella

Par Frédéric Duhart (EHESS, Paris) et F. Xavier Medina (IEMed, Barcelone)
Publié avec l’aimable autorisation des auteurs. Le fichier PDF 

logo de la Bible de la Paella

Anthropologie historique d’un plat caméléon :

la Paella

Par Frédéric Duhart (EHESS, Paris) et F. Xavier Medina (IEMed, Barcelone)
Publié avec l’aimable autorisation des auteurs. Le fichier PDF : Article Paella Duhart-Medina
Sommaire
Introduction
1. Un plat bon à penser
2. Le mot et la chose
1. De Valence à Ténériffe : une histoire espagnole
A. Origines et destins valenciens
B. La conquête de l’Espagne
2. D’ici ou de là-bas : les destinées européennes de la paella
A. La paella en France
B. Au Nord, à l’Est…
3. Les Paellas d’outre-mer
A. La paella en Algérie
B. La paella de Manille à Tokyo
C. Quelques paellas d’Amérique
4. La paella du repas campagnard au fast-food
A. Cuisiner et manger ensemble
B. Végétarienne ou en sushi : la paella aux goûts du jour
C. La paella à l’âge de la McDonaldisation
Conclusion : la paella, un plat caméléon

Introduction

1. Un plat bon à penser

« Paella », ce riz garni fait partie des plats dont le nom est chargé d’une forte connotation territoriale: nous sommes persuadés que dans la tête de chacun de vous, lecteur, au moment où vous avez lu ce mot (comme dans les nôtres lorsque nous l’avons écrit) se sont bousculées quantité d’images fondées sur les souvenirs de vos vies ou de vos séjours en Espagne, vos expériences de gastronomes, les semaines européennes de vos supermarchés, vos lectures ou les appels faits en permanence à votre imaginaire par la publicité.

Cependant, il serait trop rapide de se contenter d’apposer sur la paella l’étiquette « plat national de l’Espagne ». Cela conduirait à oublier toute l’ambiguïté d’une telle appellation1, à ne retenir qu’une représentation extérieure de l’art culinaire espagnol en n’omettant le ressenti des nationaux à l’égard d’un « emblème national » parfois encombrant, mais encore à délaisser les situations originales produites par sa diffusion à travers le monde, entre exotisme et enracinement local. Histoire d’une géographie mouvante, l’histoire de la paella est aussi celle d’un savoir-faire culinaire, de ses évolutions et de ses interprétations dans l’espace et dans le temps. Elle est encore celle d’un plat, des manières de le consommer et des façons de se le représenter. Il sera question de tout cela dans le présent article, au terme duquel nous expliquerons en quoi la paella constitue un parfait exemple de « plat caméléon ». Néanmoins, avant de suivre la paella sur les routes du monde, un détour par quelques rappels étymologiques et techniques s’avère nécessaire.


2. Le mot et la chose

Deux étymologies du nom porté par la préparation à base de riz appelée paella sont fréquemment proposées. L’une d’elles ancre ce plat dans une histoire millénaire en faisant procéder le terme « paella » de l’arabe « baqiyah » qui désigne les restes. Dans l’Espagne musulmane, domestiques et modestes travailleurs auraient confectionné un plat combinant les victuailles (riz, poisson, poulet) rescapées des banquets des puissants: la paella2. La légende est jolie, mais la théorie difficilement soutenable puisque les premières mentions du riz garni appelé paella dans la région de Valence n’apparaissent que six siècles après la conquête de celle-ci par Jacques Ier (1238)3. La véritable origine du nom porté par le célèbre riz garni s’enracine en fait dans la vie quotidienne des habitants de l’Espagne orientale du XIXe siècle: « On appelle la poêle, à Valence et dans toute la région levantine, paella. De là le nom générique du riz à la valencienne qui se prépare en général dans le dit ustensile4 ». Le nom de l’ustensile s’inscrit dans une longue filiation latine et même indo-européenne5, mais il importe plus ici de constater que lorsque la paella est née, il désignait invariablement pour les populations de langue valencienne tous les types de poêle6 et son usage s’est progressivement spécialisé et adapté en Castillan. Aujourd’hui, le terme paella7 s’emploie pour qualifier le type de poêle ronde et dotée d’anses qui est utilisé pour cuisiner la paella. En espagnol moderne, cet ustensile est également appelé paellera, par référence au plat de riz qu’il permet de cuisiner8.

La définition du plat lui-même est assez délicate. Originellement, une caractérisation par les techniques employées pour sa réalisation s’imposait: un riz préparé sur un foyer ouvert dans une poêle était une paella et se distinguait nettement des riz de tradition plus ancienne cuits dans une casserole. Cependant, au cours du temps, des riz cuisinés par d’autres voies que les techniques classiques ont été présentés et consommés comme des paellas. Même si leur seule évocation suffit à soulever le cœur de certains gastronomes9, nous les considérerons au côté des paellas plus conventionnelles, car ils sont pleinement acteurs de l’histoire et de l’actualité de ce plat.

1. De Valence à Ténériffe: une histoire espagnole

A. Origines et destins valenciens

La culture du riz est très ancienne dans l’Espagne orientale et méridionale ; ses premières implantations précédant sans doute l’arrivée des Arabes au VIIIe siècle (10). Néanmoins, c’est leur expertise dans l’exploitation de cette céréale qui joue un rôle décisif dans le réel développement de la riziculture dans la région, notamment dans le Royaume de Valence où elle apparaît déjà prospère au Xe siècle11. L’ancienneté de la culture du riz va de pair avec celle d’un art de le préparer, dont témoignent des recettes médiévales venues de l’Occident musulman ou de la très chrétienne Catalogne12. Précocement, certaines préparations associent le riz avec le safran, une épice à fort pouvoir colorant mais coûteuse, en dépit d’une production locale13. Au début du XVIe siècle, Rupert de Nola, un cuisinier de cour, utilise le safran pour donner une belle couleur au bouillon dans lequel cuit son Arròs en cassola al forn [Casserole de riz au four]14. Près de trois siècles plus tard, cette épice intervient dans des cuisines du riz moins raffinées, comme celle des posadas aragonaises qui proposent aux voyageurs de passage du « riz bouilli au safran »15. Aussi, au XIXe siècle, en dépit de la forte valeur des stigmates de crocus, n’est-il pas surprenant de voir le safran colorer occasionnellement le riz dans la cuisine populaire, paysanne même, de l’Espagne orientale.

Dans cette longue histoire espagnole du riz, la paella n’intervient que tardivement. Elle n’apparaît, en effet, qu’au XIXe siècle dans des campagnes valenciennes où le riz s’affirme comme une nourriture paysanne essentielle après plusieurs décennies qui ont vu sa culture s’accroître fortement16. Elle est fondamentalement un plat des champs, né de la pratique culinaire des travailleurs agricoles: la poêle est parfaitement adaptée au transport et à une cuisson sur feu ouvert; le riz qu’elle permet de préparer est capable de répondre aux besoins d’un groupe de travailleurs de force et dans ses formes améliorées, notamment par l’adjonction d’un poulet ou d’un lapin, des convives d’une fête champêtre. La paella originelle est une nourriture roborative, un plat de déjeuner. Dans la région valencienne, ce statut reste pleinement d’actualité et elle n’est proposée le soir qu’en de très rares occasions (le riz a notamment besoin d’un certain temps de digestion…).

Dès avant la fin du XIXe siècle, la paella acquiert une dimension particulière dans le répertoire culinaire valencien. Aux yeux des habitants des autres parties de la région et des étrangers, elle devient une sorte de plat typique, une pièce maîtresse dans l’identification culturelle de Valence et de ses environs. Dans une lettre adressée au célèbre gastronome Thebussem, publiée pour la première fois en 1883, José de Castro y Serrano évoque de grandes spécialités locales, « plats nationaux » d’un pays dont la cuisine manque d’unité. « Le riz à la valencienne, qu’en aucune province on ne sait faire comme à Valence » inaugure sa brève liste17. En 1896, le Français Eugène Lix filme déjà la réalisation d’une paella à Valence18. Parallèlement, une affirmation de la paella comme un plat à soi prend peu à peu forme. José Antonio Giménez y Fornesa augmente, à partir de 1887, son Novísimo arte práctico de cocina perfeccionada d’un appendice « qui, entre beaucoup d’autres choses, contient la paella valenciana »19. Comme d’autres avant eux avaient célébré le riz local, certains poètes chantent les louanges de la paella20.

Alors même qu’elle devient un emblème national, la paella ne cesse d’être un plat valencien mis à contribution dans la construction et l’affirmation d’un sentiment identitaire local. Il y a ceux dont la paella valenciana fait partie intégrante de la culture et les autres. Savoir manger la paella, comme savoir la cuisiner, est la preuve d’une appartenance au groupe des « vrais gens d’ici ». Yadi, une anthropologue colombienne, l’a appris à ses dépens. Nous sommes au début des années 2000. Yadi habite dans un petit village de la comarca de Valence depuis près de deux ans, elle se sent bien intégrée: elle y travaille et y a des amis. Un jour, elle est invitée par une famille, originaire de Tolède mais installée à Valence depuis plusieurs années, à venir manger une paella; le plat arrive sur la table, quelqu’un demande si certains convives souhaitent une assiette, cette question est plus une formule d’usage qu’une vraie interrogation car la seule réponse correcte est négative: tous les convives commencent à manger la paella en se servant directement de la paella commune… sauf Yadi qui dans son ignorance a demandé une assiette. Elle n’a pas vu que tous ne se servent que de la cuillère et elle a, réflexe acquis dans son enfance colombienne, pris une fourchette pour déguster sa paella; alors un de ses voisins de table se permet une remarque: « Non, ce n’est pas comme cela que l’on mange la paella, on la mange avec une cuillère et c’est meilleur si on la mange sans assiette, directement dans la paella21, on voit bien que tu n’es pas d’ici ! »… rappelons qu’il était lui aussi un Valencien d’adoption.

Que l’espace de la paella se soit étendu au reste de l’Espagne n’affaiblit pas l’attachement des populations valenciennes à leur paella, au contraire, il le renforce. Au début des années 1980, les organisateurs d’une campagne de prévention contre les feux de forêt choisissent d’attirer l’attention de leurs concitoyens au moyen de deux slogans joliment tournés: « Hay paellas que matan » [« Il y a des paellas qui tuent »] et « La paella es el plato más caro del verano » [« La paella est le plat le plus cher de l’été »]. La réaction valencienne ne se fait pas attendre et s’exprime par la voix du député Ignacio Gil Lázaro, qui déclare solennellement que le « patrimoine culturel autochtone valencien » vient d’être outrageusement méprisé23. Dans de telles situations, la paella se trouve mise au service, comme peuvent l’être d’autres emblèmes culturels, d’une revendication localiste, d’un valenciannisme politique24. La paella peut également permettre l’expression d’un attachement à la patria xica sur un mode plus personnel. Sur un forum destiné aux voyageurs, un jeune Valencien dresse un inventaire des « pièges à touristes » qui existent dans sa région natale. Le paragraphe qu’il consacre à la paella montre une revendication d’authenticité appuyée sur l’opposition entre espace national et local, avec une intéressante assimilation parfaite du territoire politique (la Communauté) à l’espace culturel valencien. Il s’ouvre, en effet, sur deux phrases des plus claires (« La paella n’est pas un plat typique espagnol, c’est juste un plat [typique] valencien. Donc, ne mangez jamais jamais jamais jamais de la paella si vous n’êtes pas dans la Communauté de Valence (Castellón, Alicante et Valence) parce que vous auriez affaire à un tout autre plat. ») et précise notamment que certaines personnes qui ont déclaré ne pas aimer la paella après l’avoir goûtée à Madrid, l’ont adorée après l’avoir dégustée à Valence25. Evacuée de la Nouvelle-Orléans submergée après le passage de l’ouragan Katrina, une jeune Valencienne déclare, entre autres choses aux journalistes qui l’attendent à la descente de l’avion qui l’a ramenée sur sa terre natale: « Dès que je le pourrai, je mangerai une paella26 ». Véritable cri du cœur ou jeu plus ou moins conscient avec un emblème local, cette déclaration offre un témoignage supplémentaire de l’attachement de nombreux Valenciens au plat évoqué.


B. La conquête de l’Espagne

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand la paella fait son entrée dans la littérature culinaire espagnole, elle est fortement identifiée à sa région d’origine. Selon le gastronome et éditeur gastronomique José M. Pisa, la première recette d’une paella publiée dans un livre de cuisine espagnol l’est à Madrid en 1861, dans la seconde édition de La cocina moderna, según la escuela francesa y española, un ouvrage écrit par les cuisiniers de Mme La Marquise de Campo Alange, à savoir Mariano Muñoz et M. Garcíarena27. Dans l’article « riz » de son dictionnaire de cuisine, Angel Muro célèbre longuement la cuisine du riz en usage dans la région de Valence et débute sa liste de recettes par arroz a la valenciana afin de « rendre hommage au pays du riz, au berceau des véritables paellas »28. La paella commence à cette époque à intéresser en dehors de sa région d’origine, mais parfois au prix de profondes transformations. La paella telle que l’entend le cuisinier du Duc de Fernán Nuñez est un plat parfaitement adapté aux parties de campagne de la très haute société madrilène, mais avec une garniture carnée qui associe caneton, poulet, anguille, cuisses de grenouille, écrevisses, langouste, escalopes de morue, escargots, filets de porc et chorizos, elle n’a plus grand-chose à voir avec les plats même festifs que peuvent préparer la majorité des habitants de l’ancien royaume de Valence29. En 1930, pour les cuisinières qui règnent sur El Amparo, un restaurant fréquenté par les élites de l’industrieux Bilbao, la sopa de arroz, paella, qui se gratine, et la sopa de arroz, « paella a la valenciana », dont la cuisson nécessite un four, sont des plats de premier service30.

L’implantation de la paella levantine dans uns des autres secteurs rizicoles de l’Espagne, l’Andalousie, s’opère à la charnière des XIXe et XXe siècles. Sur ces terres méridionales, où d’autres traditions culinaires du riz préexistent, la paella vient s’ajouter au répertoire des recettes, en s’adaptant dans certains cas et s’imposant dans d’autres: c’est sous la forme très personnalisée de la paella a lo Juanito qu’un restaurateur la propose en mai 1929 à des banqueteurs invités par les joueurs du Sevilla FC31; alors que, vraisemblablement, la paella que les jardiniers de Cabra (province de Cordoue) préparent lors de la romería qu’ils organisent en l’honneur de la Virgen de la Sierra s’est substituée à un plat de riz mijoté dans de la vaisselle de terre32. L’implantation de la paella passe aussi par une adaptation au contexte alimentaire local. A Séville, elle est notamment servie sous la forme de rations adaptées à la pratique du tapeo. Au Mesón Puerta de Jerez, un établissement classique, les clients autochtones goûtent la paella andaluza du patron de cette manière, alors que les touristes la mangent comme plat. Prendre une ration de la paella est aujourd’hui un usage localement assez bien établi comme le montre la possibilité qui est donnée de le faire dans la très fonctionnelle cafeteria de la faculté de droit33. Aujourd’hui, de telles tapas de paella peuvent se déguster dans la plupart des villes andalouses.

Jusqu’à une date avancée du XXe siècle, le riz n’occupe qu’une place très réduite dans la cuisine de plusieurs régions espagnoles, à l’instar du Pays Basque. Sur les meilleures tables bourgeoises de cette contrée, le riz apparaît de temps en temps au cours des premiers services sous la forme de préparations à la mode. En 1889, par exemple, lors d’une visite de Bergara par son évêque, le relevé du repas servi aux notables locaux consiste en un Arroz a la valenciana34. Compte tenu de sa position dans un repas dont le meilleur et le plus consistant restent à venir, il faut comprendre que ce riz est bien plus proche des préparations que nous avons rencontrées à El Amparo ou du Riz Valencien de la cuisine internationale que d’une véritable paella. Finalement, ces quelques recours au riz sont peu de choses, dans les cuisines populaires comme dans celles d’un restaurant réputé de Saint-Sébastien, la mise en œuvre de cette céréale se limite à la préparation de quelques desserts, pour l’essentiel des riz au lait35. C’est dans le contexte économique difficile de la post-guerre, à partir des années 1940, que la consommation de riz se développe et se généralise en Pays Basque. Il est d’abord employé pour faire des riz au gras, cuit dans un bouillon garni de viande ou de volaille. L’introduction de la paella dans l’art culinaire des milieux populaires basques est plus tardive et trouve son origine dans un faisceau de facteurs: elle fait partie du bagage culinaire de certains des migrants attirés par les possibilités de travail offertes par une des plus riches régions industrielles du pays et se trouve mise au premier plan sur les tables de restaurant comme sur l’ensemble du territoire national par la stratégie de développement touristique adoptée dès la fin des années 1950 par le Caudillo. Ce n’est cependant qu’à partir des années 1960-1970 que la paella intègre pleinement le corpus de la cuisine familiale des Basques. Dans un premier temps, elle a été garnie exclusivement de viande, avant que les fruits de mer ne viennent compléter sa garniture36. Même très connue et consommée, la paella reste, en Pays Basque espagnol, assez identifiée à un plat de la côte levantine, de la Communauté Valencienne et même de la Catalogne et de Barcelone, la ville cosmopolite à la cuisine intégratrice. Au fil du temps, la paella a perdu de son originalité pour se fondre dans la masse des formules de la cuisine usuelle. Elle est indéniablement naturalisée en Pays Basque, mais il n’existe aucune volonté forte d’en faire un « plat du pays », de la patrimonialiser régionalement. Le concours international de paellas de Aixerrota, dont le cinquantième anniversaire a été célébré en 2005, offre une illustration originale de cette situation37. Car si la culture locale est bien représentée parmi les activités connexes à cet événement qui a attiré plus de quarante mille personnes en juillet dernier, c’est bien comme plat espagnol, et même universel, que la paella est mobilisée et mise en scène. Il ne s’agit nullement d’en faire un monument culinaire biscayen.

Le développement touristique et les politiques qui l’ont encouragé forment le socle de la paella élevée en emblème de l’Espagne gourmande. En d’autres termes, la paella comme monument national est un héritage de la volonté du Général Franco, une empreinte dans le paysage gastronomique de sa représentation de la nation espagnole, une sorte de Valle de los Caídos culinaire. D’où la divergence actuelle dans l’acceptation de l’emblème en Espagne et à l’extérieur de celle-ci. Pour les étrangers, la paella est un monument typiquement espagnol (plutôt que valencien) qu’il faut visiter à la fourchette. Cependant qu’en Espagne, elle peut être parfois ressentie comme un héritage pesant, un plat-cliché bon à vendre plus qu’à consommer, comme le souligne le romancier Lorenzo Silva dans La niebla y la doncella38:

Nous déjeunâmes dans un restaurant fonctionnel, avec des tables et des chaises en plastique, entourés par des Allemands qui s’empiffraient de paella et buvaient une sangria dont la couleur vive, entre le rouge et le violet, trahissait le vin sorti d’une Tetrabrik qui avait servi à son élaboration. Le riz ne semblait pas être non plus à la hauteur du prix que lui assignait la carte; de telle façon que nous décidâmes de prendre un plat de poisson et de boire de la bière.

Les opérations de propagande et de publicité entreprises par le ministère de l’information et du tourisme espagnol (1952-1977) continuent de porter leurs fruits dans le champ du culinaire39. En effet, la paella et les autres spécialités qu’elles contribuèrent à élever au rang d’emblèmes quelque peu artificiels (en étant très précocement soutenu par les désirs qu’elles éveillèrent chez les estivants) conservent un réel pouvoir d’attraction. Le menu touristique a survécu à l’avènement de la démocratie et se porte actuellement très bien. Voici l’écriteau exposé en avril 2003 à l’entrée d’un restaurant situé aux abords immédiats de la Giralda, à Séville: « Menú del sol – menu of the sun – sonnen menu: gazpacho sangria paella ». Où qu’ils soient en Espagne, les visiteurs étrangers recherchent la paella, ce plat sur-ibérique: une enquête récente montre que la majorité des touristes qui arpentent les rues de Barcelone consomment avant tout de la paella et de la sangria (jour et soir). Le cas de cette ville est fort intéressant car elle possède la réputation d’offrir la possibilité de déguster des paellas parmi les meilleures d’Espagne, dans des restaurants de grande renommée. Avec sa paella Parellada, Les Set Portes, fondé au début du XIXe siècle, fait partie de ses établissements. Mais ce même désir se rencontre sur l’ensemble du territoire national. Dans les ventas facilement accessibles du col d’Ibardin, les touristes s’empressent de commander de la paella et de la sangria. Seulement quelques mètres les séparent de la France, mais ils sont en Espagne… dans une autre dimension, au-delà du quotidien, où leurs rêves d’Ibérie doivent se matérialiser au plus vite, quitte à offrir le spectacle d’un formidable capharnaüm40. Dès la frontière passée, commence la terre de Carmen et de Manolete, alors forcément, « la couleur de la paella41 » est incontournable sur le tableau offert aux amateurs de pittoresque. Les Charlots font l’Espagne (1972), une œuvre destinée à distraire des Français qui profitent de la prospérité et aiment à passer leurs étés au-delà des Pyrénées, montre parfaitement les attentes que suscite le dit pays. L’action se concentre en terres catalanes, non loin de la frontière. Mais toros, chèvres, costumes sévillans, flamenco et paella sont tous convoqués. Cette dernière apparaît, flanquée de la sangria, comme le plat principal d’une noce et donne lieu à une série de gags très potaches42. La même logique préside aux Canaries. L’éloignement de la péninsule et le soleil africain n’y font rien, le touriste s’estime par moment en Espagne et nourrit par conséquent des espoirs légitimes, comme celui de déguster une authentique paella. Linda Waterman, elle-même décidée à découvrir la paella parfaite, a décrit les tablées de touristes nordiques, en short et sandales, occupées à déguster le fameux plat de riz dans les restaurants du front de mer, à Santa Cruz43. Le nom fort bien choisi d’un restaurant de Los Llanos confère à la paella maison une hispanité des plus parfaites: elle est la Paella Cervantes44.

Le boom touristique espagnol profite particulièrement à une paella unifiée, qu’il a lui-même largement contribué à créer. Elle est caractérisée par une garniture mixte, bon marché et finalement très standardisée. Ces deux derniers traits en font une véritable innovation. En effet, si les garnitures des plantureuses paellas servies au cours des parties de campagne des aristocrates de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle étaient déjà mixtes, elles étaient véritablement conçues comme une débauche d’ingrédients prestigieux. Ainsi, dans la recette d’Arroz (paella) a la Valenciana que la Marquise de Parabere indique en 1940, nous trouvons, entre autres choses, du poulet, du filet, de l’anguille, des crabes, de grosses crevettes, des coquillages, des artichauts45. Parallèlement, au cœur même du berceau levantin, des paellas mixtes étaient « traditionnellement » envisageables au gré des humeurs et des hasards de la géographie. Dans certains villages côtiers de la province de Valence, dans les années 1970, l’anguille s’associaient au jambon ou les moules au poulet. A Vall d’Alcalà, dans la province d’Alicante, la morue intervenait parfois dans une paella de diario riche en légumes (chou-fleur, haricots verts)46. Rien dans ces mixités élitistes ou paysannes de comparable avec le caractère composé de la paella unifiée. Les populations locales ne s’y trompèrent et exprimèrent force scrupules à l’égard de cette paella hybride et ambiguë, étrange chimère à la fois trop riche et étrange, parce que finalement trop pauvre, au vu de sa garniture bigarrée mais sans prestige. Aujourd’hui encore, les gastronomes, à l’instar des auteurs du très copieux 100 Paellas y una fideuà, dénoncent ce plat où la crevette se combine avec le poulet comme une hérésie47. Malgré tout cela, la confection de cette paella mixta s’est largement répandue en dehors des restaurants pour touristes. Dans presque toute l’Espagne, même la région de Valence moins concernée n’est pas épargnée par ce mouvement, la paella unifiée est devenue la paella standard, la plus populaire aussi. Le plat créé dans les restaurants pour touristes, pilier d’un « faux-contact48 » à prix abordable avec l’art culinaire espagnol, a pénétré dans l’intimité de la maison et des célébrations familiales. A des milliers de kilomètres de la péninsule ibérique, c’est cette même paella mixta, dont la recette a été précocement diffusée, qui fait partie du patrimoine culinaire de certaines familles basques du Nevada. C’est grâce à Life en español que Mary, descendante d’immigrants biscayens a appris à la faire49. Autant dire que là encore, une paella pittoresque s’est enracinée à une pratique fortement investie.

Sur l’ensemble du territoire espagnol, la paella occupe aujourd’hui une place de choix parmi les plats choisis par les associations et les groupes les plus divers (songeons à une séquence mémorable de Jamón, jamón50) quand il s’agit de manger ensemble. Son coût de préparation fortement modulable et sa parfaite adaptation à un service rapide, sans façon et généreux, explique pour beaucoup un tel succès, qui ne suffit guère à faire d’elle un plat national51. Cependant, le statut d’emblème culinaire national conféré à la paella, sans cesser d’être artificiel, est devenu avec le temps bien réel, par le simple jeu de la force des représentations. Même les communautés les plus attachées à leur identité sont obligées de le reconnaître, de faire avec. Dans le cas de la Catalogne, l’équilibrage est particulièrement subtil. Lors de la semaine catalane organisée en octobre 2003 à Agadir, la délégation de la Généralité de Catalogne au Maroc a offert une grande paella de fruits de mer. Un tel plat espagnol s’imposait sans doute sur l’autre rive de la Méditerranée. Mais cette paella n’est pas seulement l’emblème commode de l’hispanité, elle est la mise en avant d’une catalanité: la paella, comme d’ailleurs le riz en général, occupe une place appréciable dans l’identité culinaire catalane, et Barcelone l’a érigé au rang de ses symboles alimentaires.

2. D’ici ou de là-bas: les destinées européennes de la paella

A. La Paella en France

La paella fait son entrée dans la littérature culinaire de langue française dès la seconde moitié du XIXe siècle. Elle vient y tenir une fonction bien définie, celle de représentante d’une cuisine hautement pittoresque et pléthorique, plus digne de curiosité que d’estime: « La paella est le mets indispensable aux grands festins des Espagnols, car il est trop coûteux pour être servi tous les jours; dans certains cas, il forme à lui seul tout le dîner, tout au moins pour les mets de cuisine. J’engage les cuisiniers à ne servir ce mets qu’à des espagnols. », écrit Urbain Dubois dans sa Cuisine de tous les pays (1868), avant de présenter une recette qui met en œuvre des filets de bœuf, de porc, des chorizos, du jambon, des poulets, des lapins, des pigeons, des perdreaux, des anguilles, des pageaux, des escargots, des artichauts tendres, des piments doux, des petits pois, des fèves, des carottes et des tomates… la olla podrida a trouvé un digne successeur dans l’imaginaire culinaire français… et pour longtemps: cette recette est reprise sans aucune modification dans la rubrique cuisine étrangère de L’art culinaire français publié pour la première fois en 195752 !

Si la paella est dépréciée par les chefs français, la cuisine levantine du riz les inspire cependant. Dans le Guide culinaire qu’Auguste Escoffier publie au terme d’une vie passée dans de prestigieuses cuisines, un Riz Valenciennes et une Poularde à la Valenciennes sont mentionnés. Une lecture des recettes montre rapidement que leur nom ne fait pas référence à la ville du Nord mais bien à la Valence espagnole et qu’une parenté aussi certaine que lointaine existe entre elles et la paella. Revenu dans du beurre, avant d’être mouillé avec du bouillon et de cuire en compagnie de dés de jambon, de champignons, de fonds d’artichaut sautés et éventuellement d’un poivron rouge, le Riz Valenciennes est prioritairement une garniture pour volaille. Mais il « peut se servir à titre de plat spécial », accompagné dans ce cas de saucisses pochées. Quant à la Poularde à la Valenciennes, il s’agit d’une poularde poêlée puis présentée avec un rizotto garni de tranches de jambon grillé53. En parfaite autonomie, coupés de toutes représentations espagnoles, ces plats ont intégré le répertoire de la grande cuisine. Aujourd’hui encore, le Riz Valencienne peut accompagner une Escalopine de veau à l’infusion de gingembre sur la carte d’un restaurant suisse, sans suggérer autre chose qu’une subtile relecture des grands classiques de l’art culinaire54.

La situation de l’Espagne dans le discours gastronomique français évolue lentement mais remarquablement dans le courant du XXe siècle, la représentation de la paella est un des témoins de ce changement, comme le révèle une comparaison entre les éditions successives du Larousse gastronomique55. Prosper Montagné propose en 1938 une imposante recette et qualifie la paella de « mets truculent » composé de « comestibles que d’habitude, du moins chez nous, il n’est pas d’usage d’associer dans une même préparation »; il présente donc la paella comme un plat exotique, dans le sens qu’il appartient à la cuisine de l’Autre, et lourd, puisqu’il achève son article en écrivant qu’elle constitue à « elle seule un repas complet, et un repas des plus copieux »56 . En 1960, le Nouveau Larousse gastronomique, revu par Robert J. Courtine, conserve la recette mais l’ajout d’une phrase à la fin de l’article, montre que si la paella reste fortement associée à une représentation de l’Espagne, son étrangeté est en train de s’amenuiser, car elle perd de sa démesure: elle constitue « un repas des plus copieux, mais elle est souvent servie moins complète57 ». L’édition de 2000 s’attarde sur l’origine de son nom et la grande variabilité de ses recettes; elle la présente comme un plat espagnol, mais qui se nuance en fonction des terroirs et propose une formule simple mais qui montre bien que le goût du jour n’est plus au pittoresque mais à l’authentique: ses ingrédients sont ceux d’une paella mixte basique (poulet, calamar, langoustine, coque, praire, poivron, oignon… une partie de sa cuisson est réalisée au four mais dans une « paellera »58.

Lorsque les premiers amateurs français de paella dégustent ce plat dans un restaurant, c’est en fait toute une représentation de l’Espagne qu’ils consomment. Voici, par exemple, le Barcelona, un établissement installé dans les années 1930 rue Geoffroy-Marie à Paris. Les clients de ce « bar andalou » peuvent déguster « la « vraie paella valenciana (riz spécial) » dans un cadre où résonnent tous les soirs des concerts de guitare59. Le nom du restaurant est celui de la capitale de la Catalogne (nord-est), le bar est « andalou » et s’anime d’airs de guitare (Espagne du sud) et la paella valenciana vient du Levant… Tout ici repose sur la combinaison d’éléments puisés dans diverses cultures, de « fragments de typicité » en quelque sorte. Le produit de ce mélange est une image surprenante et artificielle de l’Espagne taillée à grands coups de raccourcis mais qui sait déjà séduire et qui est très facile à vendre. Dans la seconde moitié du siècle, le tourisme de masse recycle d’anciens clichés et en crée de nouveaux, renforçant de fait la position déjà bien établie de la paella au rang de symbole pratique de la culture (culinaire) du voisin espagnol. Lorsqu’il s’agit de célébrer la semaine de l’Euro à Saint-Magne-de-Castillon, un petit village girondin, il est décidé de servir aux enfants de l’école, des mets emblématiques de quelques pays européens. Une paella, réalisée à partir d’une recette imprimée, est proposée un midi, mais elle n’est pas servie seule: « Pour l’Espagne, j’avais été louer des costumes. Ce jour-là les cantinières étaient habillées en Espagnoles – la jupe et le petit œillet rouge dans les cheveux60 « .

Avec l’arrivée des réfugiés espagnols puis des migrants économiques sur le territoire français, la paella est aussi devenue dans le courant du XXe siècle un plat préparé par un autre proche, parfois si proche qu’il finit par être adopté: une enquête récente montre que dans l’Hérault, une génération a fait son apprentissage de la paella au contact des immigrants espagnols et qu’une transmission de la recette entre la nouvelle venue et sa belle famille a pleinement joué lorsque le rapprochement des communautés a pris la forme d’un mariage61. L’important courrier et les appels téléphoniques reçus par Raymond Oliver après sa présentation télévisée d’une recette de paella montre que dans les années 1970, un savoir domestique sur ce plat (alimenté par des expériences d’immigrés, des souvenirs de vacances en Espagne ou de repas au restaurant…) est déjà bien présent en France62.

En s’intégrant lentement au répertoire culinaire usuel des Français, la paella se fait paëlla, un plat banal, qui ne fait plus beaucoup rêver… surtout lorsqu’il est proposé dans les réfectoires des collectivités. Cependant la paëlla cohabite avec la paella chargée de promesses exotiques plus qu’elle ne la remplace. Les publicitaires ont bien compris. Dans les années 1980, d’une publicité pour de la paella en boîte nous disait: « Mon fils ! La paella ! Ce riz ! Ce poulet ! Ces moules ! C’est pareil que chez ta maman, il est beau mon fils, et comme il fait bien la paella ! / – C’est pas moi que je fais la paëlla, Maman. / – C’est Garbit / – Garbit? Encore une fiancée? / – Paella Garbit, c’est bon comme là-bas. ». En 2003, un spot vantait les mérites de la paella surgelée Maggi, par l’intermédiaire d’un personnage dont l’exubérance gestuelle était plus napolitaine qu’espagnole. Cela n’a rien d’étonnant, car ce n’est plus seulement un désir d’Espagne qu’il s’agit de satisfaire mais aussi une envie de diète méditerranéenne, comme en témoigne très explicitement l’emballage dudit produit: « Ce plat typiquement méditerranéen et léger contribue à votre équilibre et ensoleille votre quotidien ».

Puisqu’elle est reconnue par leurs voisins comme typiquement espagnole, la paella fait partie des emblèmes culturels qu’une communauté aujourd’hui très bien intégrée utilise pour rappeller plaisamment son origine: bien des associations culturelles espagnoles, à l’instar de celle d’un quartier de Rennes en mars 2005, organisent des soirées paella63. En Languedoc et en Provence, la paella occupe un rôle particulier dans les traditions imaginées par les Espagnols bien intégrés et les Français fascinés par l’Espagne qui composent le petit monde des amateurs de tauromachie. Aller manger de la paella sur les allées Paul Riquet de Béziers ou sur le cours Jean Jaurès de Nîmes constitue une étape admise sur le parcours d’un amateur qui « fait » sérieusement les férias de ces villes64. Lorsqu’en 2004 le concessionnaire Opel de Béziers souhaite attirer les aficionados à la soirée qu’il organise pour le lancement de l’Astra, il leur promet des séances photos avec deux matadors, des danses sévillanes, de la sangria et de la paella. Celle-ci fait donc pleinement partie du volet alimentaire d’une sous-culture tauromachique. Marqueur d’une véritable identité groupale, la paella ne manque pas d’être mobilisée dans la critique que les anti-corridas font de celle-ci. Josyane Querelle, par exemple, ne l’oublie pas dans le sombre tableau qu’elle dresse des férias, événements dispensateurs, selon elle, « d’émotions bon marché »65:

« L’on y confond quantité avec qualité et l’on se fourvoie dans de médiocres festivités stéréotypées. C’est l’acculturation à haute dose avec gavage à la paella et au flamenco ».

Aux deux extrémités de la chaîne pyrénéenne, dans les zones frontalières où se concentrent les flux de touristes à destination de l’Espagne, la paella connaît une dynamique particulière. En effet, elle s’y retrouve précocement inscrite sur les cartes de nombreux restaurants soucieux d’attirer vers eux des voyageurs aux palais impatients. Dans les années 1950, elle fait partie du menu ordinaire du buffet gastronomique SNCF de Bayonne ou du Central hôtel de Cerbère66. Aujourd’hui, elle figure, de façon incontournable, sur les menus touristiques « catalans » qui sont proposés par les restaurateurs de la Côte Vermeille/Côte Catalane. A Collioure, à Cerbère, ou plus à l’intérieur, à Céret, les touristes venus du Nord, les Français notamment, s’empressent de la déguster, souvent après l’avoir faite précédée par du pà amb tomàquet accompagné de jambon cru et en l’arrosant de sangria, tandis que leurs pendants espagnols recherchent plutôt des plats issus d’une tradition plus française. Aussi est-ce finalement dans le cadre d’un menu très « espagnol » présenté comme « catalan », que la paella vient satisfaire la faim de Sud des touristes français.

Sur la Côte Basque, en quelques décennies, la paella est même devenue un plat local. Parfois signalée dans certains menus au cours de la première moitié du XXe siècle, la paella devient récurrente sur les tables des restaurants des villes balnéaires à partir des années 1950. En 1963, Odette Pannetier qualifie dans sa critique de la Vieille Auberge de Saint-Jean-de-Luz, la paella valenciana, d’inévitable et il est vrai qu’elle apparaît plusieurs fois au cours de la relation de son séjour gastronomique en Pays Basque67. Si le nom de ce plat reste une référence explicite à l’Espagne, son processus d’enracinement local est cependant déjà engagé: en 1954, le restaurant parisien Le corsaire basque propose à ses clients une paella qui n’est pas espagnole mais « comme à Saint-Jean-de-Luz »68. Peu à peu, la paella se trouve littéralement basquisée. Les cartes postales portant des recettes de « paëlla basquaise » en sont un bon témoin. Alors que les plus anciens clichés font encore des références marquées à l’Espagne par les accessoires placés aux abords du plat, les plus récentes à l’instar d’une création biarrote intitulée Recette régionale: la paëlla basquaise n’ont recours qu’à des emblèmes locaux, en l’occurrence le fameux linge basque. Cette régionalisation de la paella va au-delà d’un opportunisme commercial, car elle possède une réelle profondeur. Sur la Côte Basque, la paella a retrouvé en effet, des usages sociaux pareils à ceux qui sont les siens en Espagne et s’est inscrite durablement dans la culture alimentaire de familles sans relations directes avec la communauté immigrée ni intérêts particuliers pour le pays voisin.


B. Au Nord, à l’Est…

La paella semble ne pas trouver une place très importante dans la cuisine internationale de la seconde moitié du XIXe siècle, sans doute parce qu’elle paraît plus pittoresque que gastronomiquement intéressante: Urbain Dubois, qui la cite avec tant de distance dans la Cuisine de tous les pays, ne la fait pas figurer dans la version anglaise de cet ouvrage69. Par la suite, l’intérêt porté au discours culinaire français conduit à la diffusion dans de nombreux pays d’Europe des recettes de paella particulièrement pléthoriques. C’est notamment le cas en Croatie, où, depuis 1983, Bakini recepti i njezini savjeti: stara francuska kuhinja, une traduction de l’ouvrage de Renée de Grossouvre Les recettes d’une Grand’mère que nous avons découverte grâce à Jelena Ivaniševic, diffuse la formule complexe d’une très lourde paella70.

L’attrait des touristes pour le soleil espagnol et aussi, au moins pour certains pays, l’arrivée d’immigrants, favorise dans le courant de la seconde moitié du XXe siècle la découverte d’une paella « typiquement espagnole » dans le Nord de l’Europe. Dans les villes d’importance, de nombreux restaurants se chargent d’entretenir le souvenir des paellas dégustées durant les vacances, ainsi le Vamos a Ver d’Amsterdam, le La Sangria d’Oslo, le Mesón de Galicia de Hambourg71. A Reykjavik, la paella figure un temps parmi les plats de la carte très ensoleillée du Vegamót Bistro/Bar, ambassadrice parmi d’autres d’une très exotique Méditerranée72.

En septembre 1976, le journal féminin allemand Brigitte proclame: « Elle est un peu tombée dans l’oubli la bonne cuisine allemande. On va manger chez l’Italien ou chez le Chinois et, à la maison, on cuisine la paella au lieu de la traditionnelle potée73. ». Derrière l’exagération évidente, il faut lire que la fréquentation assidue des plages espagnoles par les touristes allemands provoque une certaine familiarité avec la paella. Pour les jeunes générations allemandes d’aujourd’hui, le premier contact avec la paella s’opère souvent dans le cadre de leurs premières vacances passées en Espagne avec leurs parents. D’où la complexité de la relation qui se tisse entre eux et la paella, plat intimement lié à un Ailleurs mais dans le même temps extrêmement familier puisque rencontré précocement, qui plus est au sein du groupe familial74.

Au Royaume-Uni, l’activité de diverses sociétés spécialisées dans la distribution de paelleras et d’accessoires nécessaires à leur utilisation en plein air, à l’instar de The Paella Company75, témoigne d’un intérêt pour la paella, nourriture méditerranéenne et adaptée aux parties de plein air. Par la paella dégustée au cours de la fête espagnole qui constitue la scène d’ouverture de son épisode intitulé Bad tidings, la série Midsomer murders nous rappellent qu’en Angleterre comme dans beaucoup de régions du Nord-Ouest de l’Europe, le goût de ce plat de riz conserve une pointe d’exotisme ou, pour le moins, d’originalité76. En divers endroits, les associations d’immigrés espagnols jouent de l’intérêt mâtiné de curiosité que la paella suscite. Elles l’utilise comme un emblème fédérateur fort utile lorsqu’il s’agit d’afficher discrètement l’origine de leurs membres tout en exprimant leur bonne intégration à leur terre d’accueil: les associations communautaires espagnoles participent activement aux fêtes de Wallonie… à grand renfort de paella, à l’instar de celle de Charleroi en 2002.

3. Les Paellas d’outre-mer

A. La paella en Algérie

Des Espagnols figurent parmi les colons qui s’installent en Algérie à la suite de l’entrée de l’armée française. Nombre de ces émigrés, venus pour la plupart de la province d’Alicante, s’installent dans la région d’Oran. En 1901, la communauté espagnole installée dans le département oranais est composée par plus de cent mille personnes77. La cuisine du riz et notamment celle de la paella fait pleinement partie du bagage culturel de ces travailleurs de la terre originaires du Levant. Peu à peu, la renommée des préparations locales à base de cette céréale se construit et la paella s’affirme comme une spécialité de l’Oranais. En 1931, lors du Congrès international de gastronomie, L. Isnard évoque l’influence des pratiques des immigrés espagnols sur la cuisine d’Afrique du Nord. Deux recettes à base de riz retiennent son attention, l’Arroz con pollo [Riz au poulet] et le Riz au safran78. Lorsque nous l’avons rencontré en 2003 dans une maison de retraite de Toulouse, Robert G., né à Alger en 1921, gardait un souvenir ému de la « très bonne » paella d’Oran. Elle constituait même une pièce maîtresse de la géographie ethnogastronomique de l’Algérie qu’il gardait en mémoire après des décennies d’exil métropolitain: « Oran, c’était les Espagnols et la paella »79.

Dans l’Algérie coloniale, les façons de faire la paella ne différent guère de celles en usage au Levant. La composition de ce plat confectionné par les hommes varie en fonction des circonstances. A la simplicité des préparations quotidiennes réalisées en bordure du champ ou du chantier80, s’opposent les plats un peu mieux garnis des jours de fête. Né en 1949, Jean-Yves Salmeron se souvient des paellas que son père préparait avec lui pour les grandes occasions: Pâques, Pentecôte, le quatorze juillet ou encore le quinze août. Leur composition était celle d’un plat festif: la chair du poulet y côtoyait d’autres viandes et divers fruits de mer81. Placée au centre de rassemblements familiaux en plein air, la paella se trouve engagée dans l’affirmation d’une communauté, voire même dans la définition d’une identité coloniale. Néanmoins, l’indépendance de l’Algérie et l’exil des Pieds-noirs ne l’ont pas fait disparaître du paysage culinaire de l’Oranais et d’autres régions côtières du pays. Dans la petite station balnéaire de Tamentfoust, à une trentaine de kilomètres d’Alger, la paella de fruits de mer fait encore le bonheur de certains vacanciers82.


B. La paella de Manille à Tokyo

La cuisine philippine actuelle est le produit d’une longue histoire, de la combinaison progressive des ressources et des savoir-faire locaux avec des séries successives d’apports exogènes: le bagage des marchands chinois actifs dans ses îles dès le haut Moyen-Âge, celui des Hispaniques qui dominent la région de 1571 à 1898 puis celui des Américains, maîtres des Philippines jusqu’en 194783. Dans cette cuisine où la préparation du riz est fondamentale, la paella occupe une place particulière.

En 1953, la formule de la paella apparaît dans la partie « plats de fêtes » de Recipes of the Philippines, le tableau des richesses culinaires de la jeune nation indépendante composé par Enriqueta David Perez84. Comme beaucoup de préparations d’origine européenne, la paella appartient au répertoire d’une cuisine choisie, appréciée par les élites. Dans le Manille reconstruit des années 1950, elle figure au menu d’établissements à la mode, tel le Keg Room85. Aujourd’hui encore un certain prestige lui reste attaché et l’intégration de sa préparation dans les usages culinaires populaires demeure limitée. Alona, une jeune Philippine actuellement installée aux Canaries, nous a confié que, dans le milieu dont elle est issue, le riz se consomme trois fois par jour mais la paella n’apparaît jamais au menu86. L’idéal des amateurs de paella philippins restent la très classique paella valenciana, parfois accompagnée d’une sauce aïoli87. En octobre 2005, alors qu’il relate la préparation d’une paella géante au motif d’une fête de rue organisée par l’ambassade d’Espagne, Dexter Osorio précise qu’il ne s’agit pas d’une quelconque paella mais d’une paella valenciana réalisée selon la recette des restaurants Alba88. Cette chaîne, dont l’histoire débute en 1952 avec l’établissement aux Philippines d’un natif d’Ávila, occupe une place particulière dans le développement du goût des gastronomes locaux pour la paella. Aujourd’hui, elle propose à ses clients une grosse quinzaine de paellas différentes. De cette longue liste, nous retiendrons la présence aux côtés de préparations très classiques, au premier rang desquelles la paella valenciana, de plats plus métissés à l’instar de la paella pilipino garnie de Sisig (hachis de porc) et de cochon de lait89.
Des cuisiniers philippins jouent un rôle non négligeable dans la diffusion de la paella dans l’espace asiatique. Arrivée de Manille en 1997, Luisa Ting propose dans son restaurant de Taipei, le Barcelona, des tapas et une paella d’une facture assez classique en dépit de quelques accommodements aux conditions d’approvisionnement et aux goûts insulaires90.

L’intérêt des Japonais actuels pour la paella est à replacer dans la curiosité qu’ils manifestent plus globalement pour certains plats méditerranéens91. Dans les restaurants spécialisés dans la cuisine espagnole qui sont installés dans les principales villes, la paella fait partie des plats très appréciés92. A Tokyo, elle figure notamment, sous une forme très classique, au menu du restaurant Casa Paradis Barcelona93. Comme elle l’a fait pour certaines recettes de spaghettis, l’industrie agro-alimentaire nationale a mis au point une paella en sachet, prête à déguster en peu de temps et après un nombre de manipulations très réduit. Ainsi, tout en goûtant la paella comme un plat exotique qui se doit d’être le plus « authentique » possible, le Japon participe au développement des formes les plus contemporaines de la paella.


C. Quelques paellas d’Amérique

L’implantation de la culture du riz aux Caraïbes puis sur le continent américain constitue un événement majeur du grand tournant alimentaire mondial initié à la charnière des XVe et XVIe siècles. En effet, si ses succès ont été inégaux à l’échelle du vaste espace américain, cette céréale a pris localement une place considérable dans la diète. C’est notamment le cas dans certaines parties du Mexique, une terre où les premiers grains de riz sont officiellement arrivés vers 152294.

Une influence, ou pour le moins une référence, à la cuisine levantine du riz est perceptible précocement en Nouvelle Espagne. Dans le livre de cuisine du frère Gerónimo de San Pelayo, rédigé en 1780, nous trouvons par exemple une recette de Arroz a la valenciana. Il s’agit d’un riz cuit à l’eau puis condimenté avec de l’oignon, de l’ail, de la tomate et du safran95. Au fil du temps, cet héritage se maintient et se complète, notamment avec l’introduction de recettes de paella. Le Manual de cocina de María Isla, publié à Puebla en 1911, contient une recette de Arroz a la valenciana fort différente de la précédente. Certaines des opérations que sa réalisation nécessite et sa garniture composée de poulet, de filet, de chorizo, de longaniza, de jambon et de piments huachinangos révèlent même une parenté indéniable de ce plat avec la paella classique96. Dans les carnets de cuisine rédigés au début du XXe siècle de Lucía Cabrera de Azcárate, une enfant de Puebla entrée par son mariage dans une bonne famille de Cuernavaca, figure une recette de paella a la vizcaína97. Plus que dans une véritable référence géographique, l’origine du nom porté par ce plat de riz est à rechercher dans la composition de sa garniture mixte, qui contient de la morue. Cette recette par la longue liste des ingrédients qui composent sa garniture (poulet, chorizo, jambon, viande salée, lapin, morue, langouste, calmars, fèves, pois, haricots verts) montre que les paellas qu’appréciaient les élites mexicaines de cette époque étaient, à l’instar d’ailleurs de celles que goûtaient leurs pendants européens, des plats particulièrement riches.

Les paellas qui s’apprécient aujourd’hui dans certaines familles de la région de Puebla sont bien plus simples. Dans la famille de Teresita, installée à Cuyoaco, la paella se fait de façon très occasionnelle, exclusivement aux fruits de mer et aux crevettes, denrées relativement chères en cette localité intérieure. Certains de leurs voisins la préparent autrement, par exemple avec du porc ou de la volaille. Dans cette région du Mexique, la paella est un plat connu mais pas véritablement enraciné, puis sa lointaine origine espagnole est toujours présente à l’esprit98. La situation est la même dans d’autres états. A Veracruz, la paella proposée par le bar La Tasca, ne cherche pas à être mexicaine, mais se proclame fièrement Paella Tasca estilo valenciano. Au cours du Festival de las paellas y de los vinos qui se déroule chaque année à Acapulco depuis 1984 et des manifestations de même nature organisées régulièrement dans diverses localités du pays, une grande créativité est déployée et même fortement encouragée, qui n’exclut pas le recours à des recettes très métissées99. Mais elle ne débouche pratiquement pas sur une réelle mexicanisation de la paella. C’est plus dans le regard des autres, et notamment du voisin étasunien que celle-ci s’est opérée: la Mexican Paella est bien présente sur les menus du Las Margaritas (San Francisco), du Sabor a Mexico (New York)100, etc.

Loin du Mexique, sur les hautes terres de la Bolivie, à El Alto de la Paz, le riz à la valencienne est devenu un plat populaire, au terme d’un processus de créolisation. En effet, sa recette locale appréciée intègre des pommes de terre en morceaux101. Sur la côte argentine, à Mar de la Plata, la paella est à l’honneur dans certains restaurants du port et donne lieu à l’organisation de concours. La paella locale possède souvent une garniture à base de poulet et de fruits de mer, ces derniers pouvant aussi s’employer seuls. L’implantation du célèbre plat de riz dans la culture alimentaire locale est intimement liée à l’arrivée d’une vague d’émigration espagnole survenue à la fin du premier tiers du XXe siècle. Le Centre Républicain Espagnol fondé en 1929 est un haut lieu de son histoire. En effet, les militants en exil qui le fréquentaient au premier temps de son existence, s’y sont souvent réunis autour d’une paella. Celle-ci, d’abord éminemment hispanique, est lentement devenue marplatense102.

4. La paella du repas campagnard au fast-food

A. Cuisiner et manger ensemble

Faire et manger une paella en plein air constituent des actes éminemment sociaux, surtout lorsque le plat est de grande dimension et que les convives sont nombreux. Le contrôle de la cuisson du riz est une tâche très délicate. Elle est laissée à un cuisinier expérimenté qui connaît, littéralement, jusqu’au bout des doigts les opérations nécessaires à la bonne réussite de ce plat. C’est en effet l’ensemble du corps sensible qui est mobilisé dans la préparation de la paella. Joseph Delteil a parfaitement décrit cette intervention corporelle dans un passage de sa Cuisine paléolithique, en plaçant cependant une femme là où, classiquement, se trouve un homme103 :

Le geste: de temps en temps, la cuisinière, si elle est valencienne, passe rapidement la main sur le plat, en rond, et se la flaire; au flair, elle sent si ça va, ou si ça attrape. Qui n’a pas vu ce geste ne saurait l’imaginer (ni l’inventer, c’est de la source).

Cependant d’autres tâches peuvent être déléguées à des personnes moins qualifiées. Jean-Yves Salmeron se souvient que la première forme de sa participation à la confection de la paella familiale a été de piler l’ail dans un mortier, tout en regardant attentivement les gestes de son père occupé par les tâches prestigieuses de la cuisson . Quand la main-d’œuvre est nombreuse, l’un peut débiter la viande, l’autre tailler les légumes, etc. Par conséquent, la réalisation d’une paella peut mobiliser un grand nombre de personnes dans un objectif commun. D’où l’intérêt que lui accordent diverses associations, qui trouvent en elle un moyen savoureux de rapprocher leurs membres. La soirée paella du club de football de l’entente Lahonce/Urcuit/Briscous est incontestablement un de ses plus grands matchs de la saison. Elle mobilise des bénévoles durant toute une journée et rassemble plus de cent cinquante convives parmi lesquels parents et élus105.

Une fois cuite, la paella peut être mise en vente, afin de récolter des fonds pour l’association elle-même ou dans le but de participer à une opération charitable. A Mont-de-Marsan, le huit mai 2004, une vingtaine de bénévoles, membres de plusieurs peñas locales confectionnent une grande paella (soixante kilogrammes de riz, quarante de crevettes, etc.) dans le but d’organiser un repas au profit de l’association Handilandes106. En fait, la grande paella est le plat du partage par excellence. Avec elle, la sensation de commensalité est exacerbée. En effet, chacun mange du riz tiré d’un même plat. Chacun prend et mange, un peu comme s’il s’agissait d’une communion laïque. En Espagne comme en France, les partis politiques de tous bords ne manquent pas de convoquer la paella à l’occasion de leurs rassemblements militants: elle peut figurer aussi bien au menu de la Fête de l’Humanité que d’un meeting du Front National107. Assez économique, très fortement fédératrice pour peu qu’elle ne contienne pas de porc ou plus radicalement de produits carnés, la paella est aussi devenue un plat apprécié par les organisateurs de certains repas de quartiers108.


B. Végétarienne ou en sushi: la paella aux goûts du jour

Une des caractéristiques essentielles de la paella, fort bien décrite par Josep Pla109, est sa plasticité: au cœur même de sa terre d’origine, des habitudes dans le choix des produits mis en œuvre ou dans les façons de cuire le riz dessinent des espaces aux limites aussi vives qu’imprécises, le seuil d’une pratique correspondant parfois aux contours d’une famille, d’un petit groupe. A l’origine, la paella se faisait avec les produits disponibles, ce qu’il y avait sous la main: légumes, volailles, lapin, petit gibier et plus récemment, ou localement, poisson. En cela la paella participe pleinement d’une cuisine paysanne méditerranéenne frugale et sensible à de nombreuses opportunités alimentaires offertes par les divers milieux au sein desquels elle se réalise. En 2004, Daniel Ferrando, un paysan de Sueca âgé de 65 ans, confie à un journaliste une extrême limite qu’il n’est jamais parvenu à franchir: « Je n’ai jamais réussi à manger des rats de l’Albufera en paella, mais je les ai goûté frits110 ». S’il s’agit bien là d’un aveu et non d’une boutade, un tel propos pourrait nous entraîner dans une méditation passionnante sur les cuisines masculines et les limites du comestible. Présentement nous en garderons l’idée que presque tout est bon pour la paella. D’où l’existence d’une infinité de recettes, toutes aussi légitimes, et une grande capacité d’adaptation de ce plat à des contextes nouveaux.

A première vue, la paella végétarienne peut sembler classique. En effet, la paella de verduras existe depuis longtemps. Elle constitue même une des plus anciennes versions de ce plat, une des moins coûteuses et des plus courantes. Toutefois, ces deux paellas ne sont pas équivalentes. La principale différence entre elles n’est pas technique, mais idéologique. Quand elle est apparue, la paella de verduras ne contenait pas de viande, poisson ou fruits de mer par pauvreté, dans une culture alimentaire où les produits carnés étaient très fortement valorisés. C’est une paella du manque, de l’impossibilité de faire mieux. Bien sûr, nous pouvons aujourd’hui réaliser de telles paellas pour le plaisir, mais cet état est bien celui qui était le sien à son origine. C’est la volonté d’éviter la consommation de chair, dans un contexte où les produits carnés sont abondants et accessibles, qui commande de nos jours à l’exécution d’une paella végétarienne. Quand une telle paella est offerte dans le cadre d’un festival organisé par des associations écologistes, songeons au Malaga Pinsapo 2003, le sens de ce choix est clairement idéologique, politique même111.

Dans cette situation précise, le caractère végétarien de la paella participe à l’affirmation à travers les choix alimentaires d’une identité politique complexe, comme cela s’opère dans d’autres pays, avec d’autres nourritures112. Une préoccupation diététique peut aussi motiver le choix de faire une paella végétarienne, comment un plat qui combine les effets bénéfiques de la diète méditerranéenne et ceux de l’alimentation strictement végétale ne serait-il pas hyper sain? Les formules de paella végétarienne sont nombreuses. Certaines garnitures très spéciales, sont autant de preuves de son enracinement dans la modernité. Dans la recette proposée par une association américaine, apparaissent, par exemple, du riz complet, des fleurettes de brocoli, des tranches de courgette, des dés de tomates, des lanières de poivron et… des nectarines113.

La paella « bonne pour la santé » n’est pas toujours végétarienne. Des cuisiniers, professionnels ou amateurs développent des versions allégées de ce fameux plat de riz, sans supprimer de sa garniture l’ensemble des produits carnés. Un de nos informateurs ne combine le riz et les autres ingrédients qu’après avoir éliminé une part importante des graisses animales et de l’huile de cuisson. Sur un forum de discussion, une internaute expose une recette allégée, réalisée à l’aide d’un autocuiseur114. Ces quêtes de légèreté se placent en contradiction avec les façons classiques de faire la paella, autant par les techniques que par le but recherché. Une paella, qui plus est une bonne paella, se devait d’être la plus roborative possible. Leur existence montre cependant une parfaite capacité d’adaptation de la paella à une modernité nutritionnelle, caractérisée à la fois par une préoccupation de santé et une attirance pour les nourritures goûteuses.

Au sommet de la hiérarchie culinaire, certains chefs revisitent la paella en l’employant dans d’audacieuses créations culinaires. Dans son restaurant de Denia, Quique Dacosta rend hommage au socarrat (le riz roussi qui attache au fond de la paellera) par une recette nommée très explicitement arroz invertido115. A Mougins, dans les Alpes-Maritimes, Alain Llorca propose un sushi de paella. Chaque pièce se compose de riz safrané mouillé au saké, d’une moule fraîche, d’une langoustine et d’une lamelle de poivron. Au lieu d’être roulée dans une feuille d’algue, elle l’est dans une fine tranche de jambon. Comme le chef l’explique lui-même, cette recette est une variation autour d’un classique espagnol116. Elle est aussi une touche méditerranéenne dans une cuisine fusion, qui organise adroitement la rencontre entre deux grandes traditions culinaires du riz par le télescopage de deux de leurs plats emblématiques.


C. La paella à l’âge de la McDonaldisation

Depuis quelques années, du fait de l’intérêt que certains industriels lui ont porté, la paella se trouve directement concernée par la McDonaldisation, c’est-à-dire un système de production et de distribution caractérisé, en dehors de tout jugement de valeur, par une hyper rationalisation117.

Plusieurs sociétés espagnoles sont aujourd’hui spécialisées dans la production et la distribution de paella industrielle surgelée. Meritem SA, créée en 1992 à Barcelone, est une des plus importantes. Elle propose en effet son paellador dans plus de mille restaurants franchisés installés dans treize pays (Espagne, France, Italie, Portugal, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Etats-Unis, Mexique, Argentine, Pérou, Chili et Vénézuela) et demi, puisqu’il est aussi possible de manger du paellador à Porto Rico118.

Si l’action des industriels de la paella a des effets sur la diffusion de ce plat à l’échelle planétaire, elle modifie aussi considérablement la position de la paella dans l’espace urbain: la paella sort de la sphère limitée de la restauration traditionnelle pour entrer au monde du fast-food, sous la forme d’une ration individuelle parfaitement calibrée. Que nous nous attablions chez n’importe lequel des dépositaires des produits Only paella brava, nous savons avant même d’entamer notre plat que la paella de verduras que nous allons déguster comportera des haricots verts à hauteur de 4,93% du poids total de la ration qui nous sera présentée119. En outre, cette paella nous est présentée dans une mini paellera individuelle ou dans une assiette, ce qui signifie qu’une grande partie de l’ancienne dimension conviviale de la consommation de paella n’a pas survécu à la rationalisation.

Néanmoins, manger ensemble dans un restaurant, quand bien même il s’agit d’un fast-food, reste si on le veut bien un moment de sociabilité intense. Au pied de la Sagrada Familia, nous avons vu des groupes de touristes fort satisfaits par la paella dégelée quelques minutes plus tôt qu’ils étaient en train de déguster. Tandis qu’un soir de décembre de 2003, dans un fast-food spécialisé dans les produits de la mer du centre de Vienne, l’un de nous deux se retrouva entouré par des familles mangeant avec un plaisir évident une pleine assiette d’une paella qui consistait pour l’essentiel en un riz jaune pâle garni de quelques morceaux de poisson. L’entrée de la paella dans le répertoire culinaire de certains fast-foods conduit parfois à des créations gourmandes surprenantes. Avec la chaîne Waitrose, la paella est devenue une garniture… de sandwich120.

Conclusion: la paella, un plat caméléon

Par l’observation de la paella, nous avons été conduits de Valence jusqu’à Manille, des foyers champêtres aux fours à micro-ondes. Autant écrire que nous avons vu ce plat dans des situations fort variées. Dans sa contrée d’origine, la région de Valence, il tient précocement un rôle dans l’identification culturelle et, devenu une fierté culinaire locale, est mis en œuvre dans certaines productions identitaires. Au fil du temps, le miroir déformant du discours culinaire international, les évolutions des moeurs alimentaires nationales, les politiques touristiques nées sous la dictature et les désirs prévisibles des touristes font de la paella un emblème culinaire de l’Espagne, aussi incontestable aux yeux des étrangers (élément d’identification fort) que discuté par les nationaux (investissement identitaire médiocre).

Cependant, hors de la péninsule ibérique, à Oran comme à Saint-Jean-de-Luz, la paella s’enracine dans la culture locale jusqu’à devenir un véritable marqueur d’identité. Avec les paellas parfaitement intégrées à certaines de ses cuisines régionales, les paellas au goût authentiquement ibérique proposées par les restaurants espagnols de ses grands centres urbains et les paëllas fourre-tout dispensées occasionnellement dans ses réfectoires, la France contemporaine montre combien, à une même époque et sur un territoire restreint, la paella peut être plurielle, peut s’inscrire dans des systèmes de représentations et de significations différents.

Née d’une cuisine champêtre chargée de pourvoir aux besoins d’un groupe de travailleurs, la paella demeure bien souvent un plat du « manger ensemble ». En effet, préparée en commun ou achetée en quantité à un traiteur, elle apparaît au menu de bien des repas associatifs, de nombreuses romerías. Forte d’une réputation de plat convivial, la paella peut même se préparer aujourd’hui à même la table du salon, dans une paellera électrique fortement mâtinée de wok. Cela n’est pas la seule facette de sa modernité, qui l’a vu aussi devenir un plat de fast-food à la préparation hyper rationalisée. En effet, aux anciennes formules d’un plat dont la variabilité des ingrédients constitue un trait essentiel, d’autres sont venues s’ajouter, purs produits d’un nouvel esprit du temps: la paella s’est faite végétarienne, etc.

Souvent adoptée, parfois créolisée, maintes fois revisitée, la paella est caractérisée par une forte capacité à s’adapter aux conditions propres à des contextes alimentaires très différents. Elle se fait, en fonction des lieux et des époques, plat des champs ou de restaurant, recette à base de produits marins ou continentaux, nourriture roborative ou allégée… A chaque fois, quelques ingrédients ou quelques accommodements avec les usages diétético-culinaires en vigueur lui permettent de prendre la couleur du système culturel dans lequel elle s’installe tout en restant fondamentalement la paella. Pour cela, nous proposons de la qualifier de « plat caméléon ». Ce faisant, au-delà du jeu avec les mots, nous voulons inviter à une réflexion sur la complexité des destins « mondialisés » de certaines préparations. Le hamburger, la pizza ou le sushi, sont-ils des « plats caméléons » ? Et s’ils ne le sont pas, que sont-ils alors ?

1.- Annie Hubert, « Cuisine et politique: le plat national existe-t-il? », Revue des Sciences Sociales, 27, 2000, p. 10.
2.- Buthaina Al Othman, « Origin of the word Paella », http://alothman-b.tripod.com/paella_arabicword.htm.
3.- L’une des premières mentions de paella apparaît en 1840 dans un journal valencien: Alan Davidson, The Penguin Companion to Food (1999), Londres et New York, Penguin Books, 2002, p. 679.
4.- Angel Muro, Diccionario de cocina, Madrid, J. M. Faquineto, 1892, t. 2, p. 860.
5.- Lourdes March, « The Valencian paella – Its Origin, Tradition and Universality. », The Cooking Pot. Oxford Symposium on Food & Cookery 1988, Londres, Prospect Books, 1989, p. 101-102.
6.- En langue valencienne : paella = poêle ; donc:  » arròs fet a la paella  » = riz poêlé).
7.- Seulement en espagnol ; le mot en valencien s’utilise encore pour définir la poêle commune ( » sartén  » en espagnol).
8.- María Moliner, Diccionario de uso del español, Madrid, Gredos, t. 2, p. 534.
9.- Xavier Domingo, Le goût de l’Espagne, Paris, Flammarion, 1992, p. 84.
10.- Néstor Luján, « Nacimiento y evolución de la cocina mediterránea. », dans F. Xavier Medina (ed.) La alimentación mediterránea, Barcelone, Icaria, 1996, p. 55.
11.- Antoni Riera-Melis, « Il Mediterraneo, crogiuolo di tradizioni alimentari. Il lascito islamico alla cucina catalana medievale. », Il mondo in cucina. Storia, identità scambi, Bari, Ed. Laterza, 2002, p. 11-12; F. Xavier Medina. Food Culture in Spain. Westport, Greenwood Press, 2005, p. 10.
12.- Par exemple « Riz cuit à l’eau », « Harisa de riz », « Riz au miel »: La cocina hispano-magrebí durante la época almohade. Según un manuscrito anónimo del siglo XIII traducido por Ambrosio Huici Miranda (1966), Somonte-Cenero, Trea, 2005, p. 229, 237, 245; « Riz à la viande », « Morterol de riz »: Llibre de totes maneres de potatges de menjar (XIVe siècle) dans Rudolf Grewe (éd.), Llibre de Sent Soví… (1979), Barcelone, Ed. Barcino, 2004, p. 155, 157.
13.- Françoise Aubaile-Sallenave, « Alimentación mediterránea y color. La alimentación árabe. », dans A. Barusi, F. X. Medina et G. Colesanti (éd.) El color en la alimentación mediterránea, Barcelone, Icaria, 1998, p. 71-72; Antonio Garrido Aranda, Patricio Hidalgo Nuchera et María Dolores Ramírez Ponferrada, « Papel de hierbas aromáticas y especias en la alimentación española de los tiempos modernos. », dans A. Garrido (éd.) El sabor del sabor. Hierbas aromáticas, condimentos y especias, Cordoue, Universidad de Córdoba, 2004, p. 130.
14.- Mestre Robert, Libre del Coch (1520), Barcelone, Curial, 1996, p. 59.
15.- Francesc del Santíssim Sagrament, Instrucció breu i útil per los cuiners principiants segons lo estil dels carmelites descalços (fin XVIIIe siècle – déb. XIXe siècle), Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2004, p. 230; Jean-Pierre Picqué, Voyage dans les Pyrénées françaises…, Paris, Le Jay fils, 1789, p. 176.
16.- Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes profondes: paysans et citadins. », Histoire des espagnols VIe-XXe siècle, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 554; M. Fernández Montes, « Comunidad Valenciana », dans Etnología de las Comunidades Autónomas, Madrid, Ed. Doce calles / CSIC, 1996, p. 613-614.
17.- Cité dans Angel Muro, Diccionario de cocina, Madrid, J. M. Faquineto, 1892, t. 2, p. 997.
18.- Maria Dolores Fernández-Figares, « La imagen cautiva: apuntes históricos sobre el cine en Andalucía. », Anuario Etnológico de Andalucía, 1998-1999, p. 102.
19.- Cet ouvrage est édité à Valence. María del Carmen Simón Palmer, Bibliografía de la gastronomía y la alimentación en España, Somonte-Cenero, Trea, 2003, p. 194.
20.- Jose Guardiola y Ortiz, Gastronomía alicantina (1959), Alicante, Agatángelo Solar Llorca, 1972, p. 126-128.
21.- Une formule en dialecte valencien explique très clairement la bonne façon de se comporter face à une paella: « Cullerà i pas enrera » (« cuillerée et pas derrière »), il faut manger sa part et laisser la place aux autres.
22.- Récit que nous a fait Yadi M. Henao Sepulveda, 28 ans, 09/2003.
23.- Rafael Sánchez Ferlosio, « Situación limite: ultraje a la paella. », El País, 1983.
24.- Franck Martin, « Le sécessionnisme linguistique valencien: des dangers et des dérives d’un usage partisan de la linguistique. », La linguistique hispanique dans tous ses états, Perpignan, U. de Perpignan, 2003, p. 401-409.
25.- ; E. G., 27 ans.
26.-  » La joven valenciana evacuada de Nueva Orleans dice que la gestión fue un desastre. », Deia, 06/09/2005.
27.- : José M. Pisa, « Sobre la paella y sus orígenes », Cuadernos de Gastronomía, 2001. Précisions sur l’ouvrage: María del Carmen Simón Palmer, Bibliografía de la gastronomía y la alimentación en España, Somonte-Cenero, Trea, 2003, p. 225.
28.- Angel Muro, Diccionario de cocina, Madrid, J. M. Faquineto, 1892, t. 1, p. 219.
29.- Joseph Favre, Dictionnaire universel de cuisine. Encyclopédie illustrée d’hygiène alimentaire, Paris, 2e grande édition, 1942, p. 1491-1492.
30.- El Amparo. Sus 685 platos clásicos (1930), Bilbao, Ed. La Gran Enciclopedia Vasca, 2001, p. 10-11.
31.- Isabel González Turmo, Sevilla. Banquetes, tapas, cartas y menús 1863-1995, Séville, Area de Cultura, Ayuntamiento de Sevilla, 1996, p. 145.
32.- Miguel Salcedo Hierro, La cocina familiar antigua. Recetario Andaluz, Séville, Centro andaluz del libro, 1992, p. 133.
33.- Observations et entretiens à Séville, 04/03. Le volet sévillan de notre enquête a été rendu possible par l’accueil chaleureux de Pedro A. Cantero et des membres du GISAP et facilité par leurs conseils avisés: Muchas gracias a todos.
34.- Luis Haranburu Altuna, Historia de la alimentación y de la cocina en el País Vasco, Alegia, Hiria, 2000, p. 271.
35.-Nicolasa Pradera, La cocina de Nicolasa (1933), Saint-Sébastien, Ed. Txertoa, 1979, p. 311-312.
36.- Atlas Etnográfico de Vasconia. La alimentación domestica en Vasconia, Bilbao, EJ & EE, 1990, p. 322.
37.- Amaia Artetxe, « El concurso internacional de paellas reúne a 40.000 personas en Aixerrota. », Deia, 25/07/2005.
38.- Lorenzo Silva, La niebla y la doncella, Barcelone, Destino, 2002, p. 205.
39.- Hervé Poutet, Images touristiques de l’Espagne. De la propagande politique à la promotion touristique, Paris, L’harmattan, 1995, p. 27-134; Amado Millán, « L’émergence du local: identités, régions, cuisines. », Le fait culturel régional, Nantes, CRINI, 1995, p. 226.
40.- Sur un forum, une retraitée écrit (06/2005): « ça me rappelle le col d’Ibardin au Pays Basque, où l’on mange dans des ventas pour pas cher. La paella bien à sept euros, la sangria à un euro!!!!! Pendant une journée, on rêve… », .
41.- Aitzpea Leizaola, « Le tourisme frontalier en Pays Basque. Jeux de stéréotypes et constructions identitaires. », Six études sur la société basque, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 93.
42.- Jean Girault, Les charlots font l’Espagne, France, 1972, 95 min.
43.- Linda Waterman, « Pursuing Perfect Paella in Tenerife, Canary Islands. », (10/2005).
44.- Restaurante Cervantes, Ctra. a Puerto Naos, 467, Los Llanos.
45.- María Mestayer de Echagüe, Enciclopedia culinaria. La cocina completa, Madrid, Espasa Calpe, 1940, p. 400-401.
46.- Francisco G. Seijo Alonso, Gastronomía de la provincia de Valencia, Alicante, Monografias regionales, 1977, p. 46-47; Francisco G. Seijo Alonso, Gastronomía de la provincia de Alicante, Alicante, Monografias regionales, 1977, p. 213-214.
47.- Ignacio Méndez-Trelles et Ernesto Cantón, 100 Paellas y una fideuà, Oviedo, Nobel, 2004, 204 p.
48.- Franco La Cecla, « Faux contact. », Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles, Paris, Autrement, 1995, p. 82-88.
49.-Mary Ancho Davis, Chorizos in an Iron Skillet. Memories and Recipes from an American Basque Daughter, Reno et Las Vegas, University of Nevada Press, 2001, p. 142.
50.- José Juan Bigas Luna, Jamón, jamón, Espagne, 1992, 91 min.
51.- Voir les remarques faites par Carmen Ortiz García (« Comida e identidad: cocina nacional y cocinas regionales en España », Alimentación y Cultura, Huesca, 1999, p. 312) à partir d’un article dans lequel Jeanine Fribourg pose la paella comme un plat national de l’Espagne (« Fêtes et cuisine traditionnelle en Espagne. », Cuisines. Reflets des sociétés, Paris, 1996, p. 354).
52.- Urbain Dubois, Cuisine de tous les pays, Paris, Dentu, 1868, p. 196; L’art culinaire français (1957), Paris, Flammarion, 1959, p. 765-766.
53.- Auguste Escoffier, Le guide culinaire (1921), Paris, Flammarion, 1993, p. 573, 769.
54.- Menu (2000) du restaurant de l’Hôtel de Famille, 20 rue des Communaux, Vevey.
55.- Nous empruntons ici une méthode d’analyse employée sur une autre série de dictionnaires: Jean-François Raguet, De la pourriture. Comparaison des deux éditions 1984 et 1993 du Dictionnaire des Philosophes, Paris, L’insomniaque, 2000, 262 p.
56.- Prosper Montagné et le docteur Gottschalk, Larousse gastronomique, Paris, 1938, p. 1492.
57.- Robert J. Courtine (révision), Nouveau Larousse gastronomique, Paris, 1960, p. 748.
58.- Larousse gastronomique, Paris, Larousse, 2000, p. 745.
59.- Publicité insérée dans Association des gastronomes régionalistes. Bulletin Mensuel, n° 40, avril 1935, p. 11.
60.- Michèle, 61 ans, Saint-Magne-de-Castillon (Gironde), 07/2003.
61.- Annie Hubert, « Destins transculturels. », Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles, Paris, Autrement, 1995, p. 118; Marie-Hélène Avalonne, « Les pratiques alimentaires dans le département de l’Hérault. », Alimentation et nourriture autour de la Méditerranée, Paris, Karthala/CIHEAM, 2000, p. 107 et 111.
62.- Raymond Oliver, La cuisine, Bordas, 1981, p. 446.
63.- Le Rennais, 03/2005.
64.- Frédéric Saumade, « L’hispanité en Languedoc et Provence. Une image de l’autre. », Ethnologie française, 1994, p. 734.
65.-
66.- Simon Arbellot, Guide des touristes gastronomes, Paris, Kléber-Colombes, 1954, p. 408, 424.
67.- Odette Pannetier, Cent restaurants du Pays Basque, Paris, Albin Michel, 1963, p. 55, 65, 83.
68.- J.-R. Robert, Guide des touristes gastronomes: les tables de Paris et de la région parisienne, Paris, Kléber-Colombes, 1954, p. 63.
69.- Urbain Dubois, Cosmopolitan cookery, Londres, Longman et Green, 1872. 599 p.
70.- Renée de Grossouvre, Bakini recepti i njezini savjeti: stara francuska kuhinja, Zagreb, Naprijed, 1983, 413 p. Pour ce volet de notre recherche l’accueil que nous a réservé l’Institut za etnologiju i folkloristiku (Zagreb) a été déterminant. Merci à Ivan Lozica, Ljiljana Marks et Nives Rittig-Beljak (FD).
71.- Vamos a ver Govert flinckstraat 308, Amsterdam; La Sangria Holbergsgt 19, Oslo; Mesón Galicia, Maretstaÿe 60, Hambourg ; Vegamót Bistro-Bar, Vegamótastig 4, Reykjavilk.
72.- http://www.vegamot.is ; Roberta Ostroff, « Dining, Eating & Grubbing. », The Reykjavík Grapevine, 5, 03/05/2005, p. 27.
73.- Faustine Régnier, L’exotisme culinaire. Essai sur les saveurs de l’Autre, Paris, PUF, 2004, p. 151.
74.- Silke Bartsch, Barbara Methfessel et Kristen Schlegel-Mattheis, « Pizza, Pasta, Döner – Mediterranean Dishes and the Everyday-life of German Youth. », Mediterranean Food and its influences abroad. 15th International Ethnological Food Research Conference, Dubrovnik, Sept. 27th – Oct. 3rd 2004.
75.- http://www.thepaellacompany.co.uk.
76.- Bad tidings, Midsomer murders, saison 7 (2004).
77.- Bartolomé Bennassar (dir.), Histoire des espagnols VIe-XXe siècle, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 1025-1026.
78.- L. Isnard,  » Sur les produits alimentaires et la cuisine de l’Afrique du Nord (congrès international de gastronomie de 1931) », Association des gastronomes régionalistes, 13, 1932, p. 5.
79.- Entretien avec Roger D., 06/2003.
80.- (Marie Elbe, « Une cuisine plein soleil. », Historia Magazine, 12).
81.-
82.- Nadir Kerri, « Les dernières brasses de l’été. », El Watan, 08/09/2005.
83.- Doreen G. Fernandez, « Chinese Food in the Philippines. Indigenization and Transformation. », The Globalization of Chinese Food, Honolulu, University of Hawaii Press, 2002, p. 183-186; Esteban T. Magannon et Marina Pottier, « La cuisine des Philippines. », Cuisines d’Orient et d’ailleurs, Glénat, Grenoble, 1995, p. 144-147.
84.- Doreen G. Fernandez, « Enriqueta David Perez and the Codification of Philippine Cooking. », Oxford Symposium on Food & Cookery 1988: Cooks & Other People, London, Prospect Book, 1996, p. 122.
85.- http://filipinokastila.tripod.com/jai2.html.
86.- Entretien avec Alona D., 03/2004.
87.- Rome Jorge, « The Rich Taste of Luxury. », The Manila Times, 21/05/2005.
88.- Dexter Osorio, « The Ultimate Paella », The Manila Times, 23/10/2005.
89.- .
90.- Steve Price, « Restaurant: Barcelona Tapas Bar and Restaurant. », The Taipei Times, 7/10/2005.
91.- Naoto Minami, « The Introduction of Mediterranean Food Culture into Modern Japanese Society. », Mediterranean Food and its influences abroad. 15th International Ethnological Food Research Conference, Dubrovnik, Sept. 27th – Oct. 3rd 2004.
92.- .
93.- Robby Swinnerton, « Tapas and Paella: Paradise en Shibuya. », The Japan Times, 04/03/2005.
94.- Frédéric Duhart, « Consideraciones transcontinentales sobre la Identidad Cultural Alimentaria. », Sincronía, Octobre 2004, http://sincronia.cucsh.udg.mx/duhartf04.htm; Te-Tzu Chang, « Rice. », The Cambrigde World History of Food, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 149; Luis Alberto Vargas et Leticia E. Casillas, « La integración de los alimentos del viejo mundo a la dieta mexicana. », dans González Turmo, I. et Romero de Solís, P. (éd.) Antropología de la alimentación: nuevos ensayos sobre la dieta mediterránea, Séville, Universidad de Sevilla, 1996, p. 285-286.
95.- Gerónimo de San Pelayo, Libro de cocina del hermano fray Gerónimo de San Pelayo (1780), Mexico, Conaculta, 2000, p. 115.
96.- María Isla, Manual de cocina (1911), Mexico, Conaculta, 2002, p. 192.
97.- Lucía Cabrera de Azcárate, Recetario de Tepetitlán (1901-1922), Conaculta, 2001, p. 89.
98.- Entretien avec Teresita Camacho Bernal, 10/2005.
99.- Voir les nombreuses photographies et déclarations d’intentions contenus sur le site de la Confrérie nationale du riz: .
100.- Las Margaritas, 2801 Leavenworth, San Francisco; Sabor a Mexico, 1744 1st Avenue.
101.- André Franqueville et Gloria Aguilar, El Alto de la Paz: migrations et stratégies alimentaires en Bolivie, La Paz, Orstom, 1988, p. 154.
102.- : La cocina de Pasqualino Marchese, Café Colombus, Mar de Plata.
103.- Joseph Delteil, La cuisine paléolithique, Paris, Arléa, 1998, p. 46.
104.- .
105.- « Bientôt la fête pour les footballeurs. », Sud-Ouest (Ed. Pays Basque), 26/03/2004.
106.- « Le cœur y était. », Sud-Ouest, 09/05/2004.
107.- Michel Guilloux, « 1959, les régions pour la bonne bouche. », L’Humanité, 09/08/2003; Christophe Forcari, « Le FN s’attribue déjà la victoire du non social national. », Libération, 26/05/2005.
108.- Repas-de-Quartier, Toulouse, Carrefour Culturel Arnaud Bernard/IEO, 2001, p. 63.
109.- Josep Pla, « La paella valenciana. », El que hem menjat, Barcelone, Ed. Destino, 1972, p. 89.
110.- Juan Carlos Rodríguez, « Examen a la paella. El plato universal de los 5000 granos. », El Mundo. Magazine, 15/08/2004.
111.- .
112.- Florence Faucher, « Manger vert. Choix alimentaires et identités politiques chez les écologistes français et britanniques. », Revue française de sciences politiques, 48, 3-4, 1998, p. 437-457.
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114.- http://www.forums.supertoinette.com/recettes_70848.paella.html.
115.- Juan Carlos Rodríguez, « Examen a la paella. El plato universal de los 5000 granos. », El Mundo. Magazine, 15/08/2004.
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117. George Ritzer, The McDonaldization of Society (1993), Thousand Oaks, Pine Forge Press, 2004, p. 43-133.
118.- http://www.paellador.es; http://www.franquicias-negocios.com.
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120.- Amado Millán, « Cultures alimentàries i globalització. », Revista d’Etnologia de Catalunya, 2000, p. 77.Barcelona.